Qualification du contrat: salarié ou indépendant?

Indépendante ou salariée? il est important de le déterminer.
Indépendante ou salariée? il est important de le déterminer. Adobe stock
Tavid Ternande
Publié mardi 09 décembre 2025
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#Droit du travail Qualification de la relation contractuelle en mandat ou en contrat de travail.

La Chambre des prud’hommes de la Cour de justice de Genève a récemment statué sur une affaire opposant C., designer graphiste, à E., une société active dans la joaillerie et l’horlogerie1.Le litige portait sur la qualification de la relation contractuelle en mandat ou en contrat de travail.

Faits de la cause

La collaboration entre C. et E. débute en mars 2020. Les honoraires facturés mensuellement par C., compris entre trois mille francs et cinq mille huit cents francs selon les périodes, étaient convenus d’avance entre les parties. C. travaille tantôt dans les locaux, tantôt à domicile ou en Valais, et organise librement son emploi du temps. Aucun horaire ne lui est imposé, aucun contrôle des absences n’est exercé, et elle utilise exclusivement son propre matériel. En juillet 2020, un contrat de mandat écrit est signé entre les parties.
En février 2021, E. élabore un contrat de travail à durée déterminée couvrant la période du 15 février au 31 mai 2021, avec une rémunération mensuelle brute de cinq mille francs. Ce changement intervient du fait que C. n’était pas affiliée comme indépendante auprès de la caisse AVS, alors que E. lui demande son attestation d’affiliation en cette qualité. Afin d’éviter des difficultés administratives et de régulariser provisoirement la situation, E. opte pour un contrat de travail dans l’attente de l’affiliation de C. comme indépendante, affiliation qui interviendra finalement le 27 mai 2021. L’intention des parties était ensuite de reprendre la relation sous forme de mandat.
Durant cette période contractuelle, la relation entre les parties ne change pas. C. conserve une large liberté quant à l’organisation de son travail et facture même un autre client.
À l’été 2021, la collaboration prend fin après que E. annonce la cessation des mandats confiés à C., ce qui conduit cette dernière à prétendre qu’elle était liée à E. par un contrat de travail. En octobre 2021, C. dépose une demande en paiement de plus de deux cent trente mille francs devant le Tribunal des prud’hommes de Genève, sollicitant notamment le paiement d’arriérés de salaire, de bonus, d’indemnités de vacances, d’heures supplémentaires, de frais professionnels, d’une indemnité pour licenciement abusif, ainsi que la remise d’un certificat de travail. Par jugement du 9 octobre 2023, le Tribunal rejette l’essentiel des prétentions de C., ne lui accordant, pour la seule période du contrat de travail à durée déterminée, qu’un faible solde de salaire et la remise d’un certificat de travail. C. a recouru devant la Chambre des prud’hommes contre ce jugement.

Critères de qualification du contrat de travail

La Cour rappelle les éléments constitutifs du contrat de travail: la mise à disposition du temps de travail, l’existence d’un rapport de subordination, l’exercice d’un pouvoir de contrôle effectif par l’employeur ainsi qu’une dépendance économique du travailleur.
D’abord, C. disposait d’une liberté quasi totale dans l’organisation de son activité. Elle décidait du lieu où elle travaillait, soit dans les bureaux de l’entreprise, à son domicile ou en Valais, sans que sa présence ne soit jamais exigée. Aucun horaire ne lui était imposé, aucune obligation de se tenir disponible à des moments déterminés n’était fixée, et elle ne devait ni pointer ni justifier ses absences. Les réunions ou entretiens avec des clients étaient organisés d’entente entre les parties, illustrant une coordination propre à une relation de partenariat plutôt qu’un rapport hiérarchique structuré.
Ensuite, le pouvoir de direction et de contrôle de E. était limité. Certes, E. transmettait les demandes des clients et donnait des indications sur les dessins à produire, mais ces instructions relevaient davantage de la coordination nécessaire dans l’exécution d’un mandat. La Cour relève que le ton des échanges entre E. et C. traduisait un rapport d’égal à égal, dépourvu des marqueurs typiques d’autorité unilatérale. Le fait que C. n’ait jamais reçu d’adresse électronique interne et qu’elle utilisait exclusivement son propre matériel confirme également l’absence d’intégration structurelle dans l’entreprise. La participation de C. à la vie de l’entreprise (apéritifs et autres événements sociaux) relevait d’une simple préférence personnelle de C. et non d’instructions de E.
S’agissant de la dépendance économique, malgré la charge de travail importante, C. n’était pas empêchée d’accepter d’autres mandants. Elle a d’ailleurs facturé un client externe pour un projet distinct en mars 2021. C. se présentait publiquement comme freelance sur ses réseaux sociaux et sur son site internet. Les publications qu’elle diffusait en ligne, parfois pour se promouvoir ou illustrer des travaux réalisés, montrent qu’elle poursuivait une stratégie de visibilité propre à une activité indépendante. Ces publications ont suscité des discussions avec un client commun de C. et E., ce qui confirme qu’elle entretenait des relations professionnelles extérieures à E. et que l’entreprise n’exerçait pas de contrôle systématique sur sa communication ou son activité globale.
Enfin, les démarches entreprises par C. pour obtenir une affiliation AVS comme indépendante, requise dès janvier 2021 puis finalement accordée en mai 2021, montrent que les deux parties envisageaient et organisaient leur relation sur la base de l’indépendance. Cette orientation a même conduit E. à proposer temporairement une répartition fictive de l’activité entre plusieurs entités afin de faciliter l’affiliation, mode opératoire accepté par C., ce qui témoigne de l’intention commune de maintenir une relation de mandat. La signature d’un contrat de travail de février 2021 à mai 2021 constitue une parenthèse dans les rapports entre les parties. La Cour souligne que ce contrat répondait principalement à un impératif administratif: la nécessité de pouvoir verser un salaire déclaré en l’absence d’affiliation AVS de C. De plus, durant cette période, les relations et l’organisation de l’activité entre les parties est restée identique, soit notamment: l’absence d’horaires, l’absence de contrôle des présences, l’autonomie quant au lieu de travail et la poursuite d’autres mandats par C. Au vu de l’ensemble de ces éléments, la Cour a rejeté les prétentions de C., concluant que les critères caractéristiques du contrat de travail faisaient défaut avant et après la période du contrat de travail temporaire. La relation relevait donc principalement du mandat, tant du point de vue de la pratique que de la volonté initiale des parties.

Conclusion

Cet arrêt rappelle l’importance d’examiner la relation concrète entre les parties plutôt que la simple dénomination du contrat. Même la conclusion temporaire d’un contrat de travail entre les parties et l’absence d’affiliation en qualité d’indépendant ne dispense pas d’une telle analyse et ne soumet pas l’ensemble de la relation contractuelle au droit du travail. n 1 Arrêt de la Cour de justice de Genève, Chambre des prud’hommes, ACJC/862/2025 du 24 juin 2025.

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