La reconnaissance des qualifications acquises, tant localement qu’à l’étranger, joue un rôle essentiel dans la dynamique du marché du travail.
Flavia Giovannelli
Publié jeudi 13 février 2025
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#Marché du travail
La rapidité des bouleversements que nous connaissons dans le monde du travail modifie également les attentes relatives aux diplômes.
Dans le paysage professionnel suisse, la reconnaissance des qualifications acquises, tant localement qu'à l'étranger, joue un rôle essentiel dans la dynamique du marché du travail. Entre réglementations strictes et nécessité d'adaptation rapide aux avancées technologiques, ce processus interpelle autant les instances gouvernementales que les professionnels cherchant à valoriser leurs compétences en Suisse.
Ce dossier explore comment, dans un cadre réglementé, la Suisse s'efforce de répondre efficacement aux exigences de divers secteurs fortement touchés par l'évolution rapide des métiers, garantissant ainsi une intégration professionnelle réussie et équitable. Sur un plan général, le Secrétariat d’Etat à la formation à la recherche et à l’innovation (SEFRI) coordonne, dans le cadre de l’accord sur la libre circulation des personnes, les différentes autorités de reconnaissance en Suisse.
Frédéric Berthoud, chef de l'unité Reconnaissance des qualifications professionnelles, est particulièrement impliqué dans cette mission. En préambule, il insiste sur un point: il existe très peu de professions et activités réglementées en Suisse pour lesquelles une reconnaissance d’un diplôme étranger est obligatoire. Une liste des milliers de métiers reconnus en Suisse est mise à jour annuellement et seulement un peu moins de cent cinquante métiers, surtout dans la santé, l’éducation et la petite enfance, sont soumis à une obligation de diplôme, suisse ou étranger avec reconnaissance de l’autorité compétente. «Dans tous les autres cas, les employeurs sont libres de choisir les candidats selon leurs propres critères. Je regrette que certains recruteurs évoquent des complications administratives liées au processus de reconnaissance, alors que celui-ci n’est pas toujours nécessaire», relève Frédéric Berthoud.
La «reconnaissance» est une comparaison entre le plan de formation étranger et son pendant suisse, mais cela ne dit rien sur les compétences effectives de son titulaire. Sur ce thème, c’est le terrain qui a la main. Enfin, les cantons peuvent décider de certaines spécialisations uniques. L’intérêt public joue un rôle prépondérant, comme par exemple pour les moratoires dans les professions de santé. À l’Union patronale suisse (UPS), Jeannine Erb, collaboratrice scientifique en politique et projets de formation, insiste sur un point essentiel: il ne faut pas que les diplômes soient bradés ou la confiance dans les compétences pourrait être remise en question. C'est pourquoi le SEFRI collabore toujours avec les branches concernées afin de clarifier les éventuelles questions de reconnaissance. La tâche est immense: «Chaque année, nous devons examiner environ cinq mille dossiers, un exercice chronophage, mais nous essayons d’améliorer les processus», conclut Frédéric Berthoud.
«En Suisse, le cadre réglementaire autorise une certaine flexibilité»
Anne Donou est conseillère en ressources humaines chez Von Rundstedt. Directrice régionale, elle a notamment pour mission d’accompagner les personnes en phase de réorientation professionnelle. Elle constate au quotidien l’impact des diplômes lors du processus de recrutement. Alors qu’une pénurie de personnel est attendue dès 2028, la question de l’équivalence des diplômes étrangers se présente avec acuité.
En Suisse, peu de secteurs professionnels sont en réalité réglementés: il s’agit principalement de la santé, de l’éducation et de l’enseignement, du droit et de la justice. De telles professions impliquent des risques liés à l’intégrité physique et à la sécurité des personnes, ce qui justifie un seuil d’exigences plus strict que dans d’autres domaines. Pour la grande majorité des autres branches, en revanche, chacun est libre d’évaluer à sa guise les qualifications des candidats. «L’employeur dispose généralement d’une grande marge d’appréciation, mais il ne le sait pas toujours», explique Anne Donou.
Dans les secteurs réglementés, l’absence de reconnaissance des certificats étrangers peut pénaliser l’employabilité, même pour des candidats au bénéfice d’une longue expérience professionnelle. Les responsables des ressources humaines chargés de ces dossiers ont un devoir d’information sur les options possibles et s’engagent à accompagner les candidats. Il peut s’agir d’un processus qualifiant, qui varie souvent d’un canton à l’autre. Le système éducatif s’adapte La spécialiste s’est ainsi occupée du reclassement de professionnels de l’éducation après la fermeture d’un collège privé. «Au bout de six mois, ils ont presque tous retrouvé un poste, même s’ils n’avaient pas les diplômes requis. Le cadre réglementaire permet une marge de discussion avec les autorités et une certaine flexibilité pour proposer des mesures compensatoires, par exemple en convertissant les années d’expérience ou en validant une formation continue, ce qui permet de trouver des solutions valables pour toutes les parties», témoigne-t-elle.
On observe que le système éducatif s’adapte, ce qui permet d’élargir le vivier de candidats en période de pénurie. Cela contraste avec certaines rigidités du marché du travail. Elle pointe ainsi le recrutement dans les entreprises: «Souvent, lorsqu’un poste se libère, on se focalise sur les candidats issus du même cursus que le prédécesseur. Il y a une forme de «consanguinité» qu’il serait bon de dépasser pour pourvoir les postes plus rapidement», conclut-elle.
En matière de pénurie de candidats, la spécialiste des ressources humaines soulève d’autres enjeux, notamment l'impact du déploiement généralisé de l’intelligence artificielle, qui risque d’accroître les inégalités. «Pour anticiper les pénuries à venir, il faut favoriser les formations plus généralistes, axées sur l’humain et sa capacité d’adaptation. Le monde de la formation a déjà entamé ce changement et semble plus avancé que celui de l’entreprise.»
Certification pour professionnels
L’article 32 de l’Ordonnance sur la formation professionnelle permet à des employés adultes et expérimentés d’obtenir un certificat attestant de leurs capacités et qui leur ouvre des portes. Arrivé il y a neuf ans en Suisse depuis les Pouilles, Donato Cantore travaille comme peintre chez Caragnano, une entreprise de gypserie-peinture. Au début, ne connaissant rien au métier, il a commencé comme manœuvre, puis il a pris de l’expérience, a suivi des cours de perfectionnement et a été capable de diriger des chantiers. Malgré cela, sa progression pourrait être bloquée à plus long terme faute de diplôme initial.
«J’ai demandé à mon employeur s’il était possible d’obtenir une certification grâce à l’article 32 de l’Ordonnance sur la formation professionnelle, ce qu’il a immédiatement accepté», raconte Donato Cantore. Ce cursus (de dix-huit mois, dans son cas; la durée peut varier, mais n’excède pas celle d’un apprentissage traditionnel), a été mis sur pied pour permettre - à certaines conditions - à des professionnels expérimentés mais non diplômés de passer des examens en vue d’obtenir une attestation fédérale de capacité ou un certificat fédéral de capacité.
Le plan de formation comprend des cours théoriques - deux soirs en semaine dans le cas de Donato Cantore - et permet de rester en emploi. «J’étais très motivé par l’envie de m’améliorer et de pouvoir progresser dans mon parcours», explique Donato Cantore, content de pouvoir s’appuyer sur divers soutiens.
En résumé, l’article 32 est ainsi un excellent levier pour la carrière, moyennant quelques sacrifices qui seront largement récompensés.
Un cruel manque de physiothérapeutes
Reconnue et régulées par l’Etat, la profession de physiothérapeute est soumise à des besoins complexes et parfois contradictoires. Avec leur rôle toujours plus central dans les soins de la santé, les physiothérapeutes sont de plus en plus sollicités pour répondre à la demande croissante d’une population vieillissante: de plus en plus de prescriptions médicales de physiothérapie vont de pair avec la volonté de raccourcir les séjours en hôpital et de privilégier le maintien à domicile.
La formation de ces professionnels s’est académisée; elle se déroule en principe en trois ans au sein d’une des hautes écoles de la santé en Suisse. Cela permet de répondre aux exigences des accords de Bologne. La profession peine à former suffisamment de relève.
Peut-on parler de pénurie? Stéphane Emaldi, membre de Physiogenève, y voit un défi constant. Il relève de nombreux signaux allant dans cette direction, notamment le fait que les professionnels formés à l’étranger sont nombreux à exercer à Genève. «Selon le registre national - GesReg -, quelque 1300 physiothérapeutes ont un droit de pratique à Genève et 624 ont eu une reconnaissance de leur diplôme étranger, majoritairement de France», indique-t-il. À l’étranger aussi, dans le système français ou anglo-saxon, les compétences requises pour devenir un professionnel qualifié sont précises et connues. Mais cette diversité de formation souligne l’importance de la validation des compétences au niveau national. Dans un premier temps, la Croix-Rouge suisse examine les équivalences des diplômes des professions de santé. Ensuite, les cantons sont compétents pour octroyer l’autorisation d’exercer.
Cette réglementation, qui diffère d’une région à l’autre, tente de suivre l’évolution des besoins du public. C’est pour cela que les associations professionnelles estiment majoritairement plutôt bénéfiques de laisser cette responsabilité en mains cantonales, plus proches de la réalité du terrain que Berne. «En résumé, il faut une mise à jour continue des compétences et des méthodologies, acquises en Suisse ou ailleurs. Il faut savoir s’adapter pour garantir la pérennité de soins de qualité et répondant efficacement aux besoins de la population», conclut Stéphane Emaldi.
Ecoles privées: maintenir un standing élevé
La réputation des écoles privées en Suisse dépend en grande partie de la qualité de l’enseignement. Selon un règlement modifié en 2023, les enseignants doivent répondre à des exigences strictes, prévoyant une formation double: universitaire dans les disciplines enseignées et pédagogique.
Dans ce cadre, la direction d’une école privée est seule responsable de la qualité et de la fiabilité de son corps enseignant. Bien qu’il n’existe pas de diplôme spécifique pour enseigner dans le privé, les établissements doivent respecter les critères et les exigences des diplômes décernés. Sean Power, président de l’Association genevoise des écoles privées, relève que les enseignants de la maturité cantonale doivent avoir suivi une formation répondant aux critères de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux (CDIP). À Genève, deux écoles privées sont habilitées à délivrer ce diplôme.
Le recrutement d’enseignants, souvent évoqué comme un enjeu majeur, y compris dans le secteur public, est particulièrement tendu dans certaines branches, comme les sciences et l’allemand, selon Sean Power.
Parmi ses diverses missions, la CDIP œuvre au maintien de la qualité de l’enseignement en général et peut décider de faire évoluer certaines formations. Ce processus est complété par des initiatives plus directes: «De nombreuses écoles privées veillent à la qualité de l’enseignement et mettent en place des formations continues pour leur personnel», conclut Sean Power.
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