Bientôt de nouvelles obligations en matière de durabilité

Les rapports sur la durabilité vont devenir obligatoires.
Les rapports sur la durabilité vont devenir obligatoires.
Pierre Cormon
Publié mercredi 11 décembre 2024
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#Rapports environnementaux Les entreprises correspondant à certains critères devront bientôt fournir des données sur leur politique de durabilité (gouvernance, politique sociale et environnementale).

De nombreuses entreprises se sont déjà lancées et des milliers d’autres devront les imiter tôt ou tard. Les rapports sur la durabilité vont devenir obligatoires pour les grandes entreprises – cette notion reste en partie à définir en Suisse.

Etablir un rapport de durabilité impliquera de collecter des données auprès de tous ses sous-traitants. Eux aussi devront donc s’adapter. Le champ est large: gouvernance, gaz à effet de serre, pollutions, gestion de l’eau, sécurité au travail, biodiversité, droits des travailleurs, etc. Un événement organisé à la FER Genève début novembre s’est penché sur le sujet. Les nouvelles obligations découlent de deux législations visant notamment à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. La première a été adoptée par l’Union européenne (UE) et entre en vigueur par étapes. Elle est connue sous son acronyme anglais de CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Les entreprises basées en Suisse n’y sont pas directement soumises, mais celles qui ont des clients soumis à la directive dans l’UE devront leur fournir des données. Ce sera le cas à partir de 2028 ou plus tard, selon les cas, même si de nombreuses entreprises anticipent sa mise en œuvre.

La seconde législation est en discussion aux Chambres fédérales – il s’agit d’une révision du Code des obligations. Elle va dans le même sens que la CSRD, mais son périmètre exact n’est pas encore fixé. Le nombre d’entreprises tenues légalement de rendre compte des risques liés à leur activité pourrait décupler, voire davantage. Le marché, enfin, pousse aussi dans cette direction. La pression pour établir des rapports de durabilité vient davantage des clients que de la législation, ont indiqué de grandes entreprises sondées par le consultant PWC en 2023.

Plusieurs milliers d’entreprises doivent d’ores et déjà fournir des données à leurs clients, dont le périmètre et le format peuvent varier de cas en cas. Cela peut engendrer un surcroît de travail significatif. La législation européenne unifiera les exigences: les données fournies aux uns pourront l’être également aux autres, sous la même forme.

Quels sous-traitants et fournisseurs devront-ils fournir des informations aux entreprises tenues d’établir des rapports de durabilité? Un bureau de graphisme réalisant quelques visuels par an ou une boulangerie fournissant des viennoiseries à la cafétéria d’une multinationale sont-ils concernés? «En théorie, oui», répond Isabelle Neveu, directrice de Mon entreprise durable, une société qui aide les entreprises à mettre sur pied des démarches de responsabilité sociétale des entreprises. «Dans la pratique, on procédera vraisemblablement par priorité, en commençant par les partenaires les plus importants et ceux actifs dans des domaines sensibles. C’est ce que nous conseillons à nos clients.» Un fournisseur de métaux et de pierres précieuses devrait sentir l’effet des nouvelles règles de manière plus sensible qu’une boulangerie ou un bureau de graphisme.

Les demandes varieront selon les cas et la taille du fournisseur ou du sous-traitant. «Une toute petite structure peut avoir à répondre à une trentaine de questions», estime Isabelle Neveu. Pour le faire, il ne suffira pas d’avoir adopté de bonnes pratiques. Il faudra le montrer, ce qui peut demander un gros effort de formalisation et de documentation. Les entreprises qui s’y prennent tôt auront un avantage, ne serait-ce que parce que les spécialistes pouvant les aider seront de plus en plus sollicités. On peut aussi voir cela comme un investissement. «Il s’agit d’en faire davantage maintenant pour gagner du temps plus tard», conclut Isabelle Neveu.


Se lancer mode d’emploi

Mettre en place un système de récolte et de restitution des données implique un travail non négligeable. Plusieurs acteurs peuvent aider les entreprises dans cette démarche. La FER Genève, notamment, propose une palette de services en la matière: sensibilisation du personnel, aide à la réalisation d’un état des lieux, formations, conseils, etc. Quelques principes peuvent guider la démarche.

  • Commencer par un état des lieux Il s’agit de savoir où l’on en est en matière de bonnes pratiques et de collecte des données et de déterminer s’il faut recourir à des conseils extérieurs. Le périmètre à examiner varie beaucoup en fonction de l’activité. Une entreprise utilisant des métaux rares portera une attention particulière à ses fournisseurs, une entreprise du bâtiment à la sécurité au travail, un centre de données au cycle de vie de son matériel et à sa consommation d’énergie, par exemple.
     
  • Choisir sur un référentiel La démarche peut s’appuyer sur des référentiels, comme ceux utilisés dans les procédures de certification. «Ils permettent de structurer sa démarche, d’adopter un périmètre clair et non contestable pour son analyse et de répondre plus facilement aux demandes», note Isabelle Neveu, directrice de Mon entreprise durable. Chaque référentiel a ses spécificités, son degré d’exigence, son coût. «Mieux vaut en choisir un qui couvre l’ensemble des piliers de la durabilité, qui soit reconnu par les marchés publics et compatible avec les directives de l’Union européenne», conseille-t-elle. EcoEntreprise, ecovadis et B-Corp répondent à ces exigences, ainsi que des certifications sectorielles, comme Ecocook (restauration) et Swisstainable (tourisme). On peut utiliser ces référentiels uniquement comme guide, ou entreprendre une démarche formelle. L’effort varie beaucoup en fonction du référentiel et de la taille de l’entreprise. Pour une petite entreprise, il faut compter une charge de travail correspondant à 20% d’un équivalent plein-temps, avec des pics et des creux, et un budget se chiffrant en milliers ou en quelques dizaines de milliers de francs. Le temps nécessaire peut se chiffrer en semaines ou s’étendre jusqu’à deux ans.
     
Procéder par étapes Inutile de viser la perfection d’emblée. Une petite entreprise a tout intérêt à définir des priorités en fonction des impacts que son activité génère (consommation d’énergie? d’eau? risques d’accidents de travail? provenance de matières premières?). Une année peut être consacrée en priorité à un ou deux domaines, la suivante à d’autres. On se constitue peu à peu une documentation, mise à jour périodiquement, qui permet de répondre facilement aux demandes. «Certains référentiels autorisent une approche graduelle», précise Isabelle Neveu. Le référentiel EcoEntreprise permet par exemple de commencer par une autodéclaration. Elle constitue une base qui peut être utilisée dans le cadre d’une certification avec audit.  

Témoignage: «Un gros travail»

Dès sa fondation, en 2015, l’entreprise JMB Arrosage Automatique s’est lancée dans une démarche durable en favorisant les fournisseurs locaux, en proposant des solutions économes en eau, en soutenant des associations locales, en plantant un arbre par chantier, etc. Restait à communiquer cet engagement. La petite entreprise (cinq collaborateurs) a choisi de se faire certifier B-Corp – un processus rigoureux et exigeant.
La charge de travail s’est révélée aussi substantielle qu’irrégulière: il a parfois fallu remplir des questionnaires impliquant de rassembler de nombreuses données, puis plus rien pendant plusieurs semaines. «Les données demandées sont souvent dispersées ou absentes des outils de gestion des micro et petites entreprises», souligne Sophie Courtin, responsable administrative.
De plus, certains aspects échappent au contrôle de l’entreprise. JMB Arrosage propose notamment des solutions permettant de diminuer la consommation d’eau, mais les décisions finales et les factures restent entre les mains des clients. «Les pratiques des fournisseurs influencent aussi l’impact environnemental global de l’entreprise, sans qu’elle ne puisse en avoir le contrôle total», relève Jean-Marie Baud, fondateur de l’entreprise.
Les relations avec les certificateurs n’ont pas été faciles. Basés à l’étranger, ils ne connaissent parfois pas bien les spécificités de la Suisse. Les changements de personnes de contact ont également impliqué de reprendre certains éléments du processus.
La certification a duré deux ans, avec une évaluation purement documentaire, sans audit sur le site. Elle a nécessité la rédaction d’une charte d’engagements. Si elle avait anticipé l’ampleur du travail, l’entreprise aurait peut-être hésité à se lancer, confie Jean-Marie Baud. Le résultat en vaut cependant la peine: avoir effectué la démarche permet d’avoir une vision claire des engagements de l’entreprise et de ses collaborateurs, fournisseurs et clients.

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