Le meilleur surveillant des prix: une concurrence libre et efficace

Stefan Meierhans, Surveillant des prix de la Confédération.
Stefan Meierhans, Surveillant des prix de la Confédération.
Véronique Kämpfen
Publié lundi 30 décembre 2024
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#Interview Entretien avec Stefan Meierhans, Surveillant des prix de la Confédération.

Qu’est-ce qu’un juste prix?

Un juste prix dépend de la question suivante: une concurrence efficace est-elle à l’œuvre? Si un prix résulte d’une concurrence libre et efficace, sans limitations techniques ou légales, il est considéré comme juste. Ce sont la Constitution suisse et la loi sur la surveillance des prix qui stipulent qu’un prix juste est issu d’une concurrence efficace.

La Suisse est-elle vraiment un îlot de cherté?

Oui. Quand on compare le niveau des prix suisses avec celui de l’étranger, on constate que le panier de la ménagère est en moyenne de 50% plus cher en Suisse qu’ailleurs. C’est notamment le cas des produits alimentaires et des fruits et légumes, qui sont plus chers en Suisse. C’est le résultat de notre politique agricole et de la protection de la production indigène. Celle-ci est voulue par le peuple, qui s’est à plusieurs reprises prononcé sur cette question. Il y a bien d’autres raisons qui expliquent cet îlot de cherté, comme le manque de concurrence, certains producteurs étrangers rechignant à proposer leurs produits sur le marché helvétique, considéré comme trop exigu.
Comme nous ne faisons pas partie du marché européen, nous sommes soumis à d’autres règles, ce qui complique les choses et peut démotiver des acteurs économiques à être présents sur le marché suisse. Il faut cependant noter qu’il y a des secteurs dans lesquels nous sommes meilleur marché, comme par exemple les biens techniques - des portables ou des radios - qui sont complètement standardisés. La différence de prix sur ce type de produits provient de la TVA. Celle-ci étant basse en Suisse en comparaison internationale, il vaut mieux acheter son portable ici qu’en France ou en Allemagne. Autre facteur: le marché suisse est petit et fractionné en trois langues principales. Cela complique et renchérit les coûts, par exemple s’agissant de la publicité. Si vous faites une campagne nationale, il faut la réaliser trois fois.

Quels sont les impacts sur les prix des droits de douane que connaît la Suisse?

Cela semble relever de l’anecdote, mais une des raisons pour lesquelles les vêtements féminins ont davantage été imposés que les vêtements masculins vient des droits de douane liés au poids et non à la valeur du produit. Il y a une centaine d’années, quand ce système au poids a été introduit, on s’est insurgé contre le fait que les hommes payaient plus chers leurs pantalons de travail, très lourds. Il a donc été décidé d’imposer davantage les droits de douane sur les vêtements féminins, plus légers, pour compenser cette inégalité. La bonne nouvelle pour les consommatrices est que cette irrégularité historique a finalement été supprimée par l’abandon des droits de douane sur les produits industriels entré en vigueur le 1er janvier 2024. Cette suppression unilatérale des droits de douane ne va pas uniquement avoir un impact sur les vêtements, mais aussi sur de nombreux biens de consommation, comme les vélos ou les produits ménagers. Il faudra désormais veiller à ce que cette suppression des droits de douane soit répercutée sur les consommatrices et consommateurs par des baisses de prix. Un système de suivi a été mis en place pour s’en assurer. Les droits de douane ont néanmoins été maintenus pour les produits agricoles. Une autre bonne nouvelle est que nous avons toujours plus d’accords de libre-échange, souvent en coopération avec l’Association européenne de libre-échange, et des accords avec certains pays pour l’importation de matières premières. Si on tire un bilan de ce qui fait la prospérité de la Suisse telle qu’on la connaît aujourd’hui, les accords de libre-échange de biens et de services ont joué un rôle majeur. On a tout intérêt à maintenir ces pratiques, puisque chaque deuxième franc gagné en Suisse l’est avec les exportations. Notre richesse dépend du libre accès à des marchés étrangers.

On parle aussi souvent d’entraves techniques au commerce pour expliquer les prix élevés en Suisse. De quoi s’agit-il?

Un bon exemple est celui des homologations. Prenons une cheminée préfabriquée. Elle passera quelques tests en Suisse pour y être homologuée afin qu’elle corresponde aux normes incendie. Cela entraînera une augmentation de son prix en Suisse, alors qu’elle ne sera pas différente de celle que vous auriez achetée en Allemagne ou en Autriche. Sauf que vous n’avez pas le droit de l’importer sans le numéro d’homologation. La même chose vaut pour les voitures. Vous êtes confronté à une telle paperasse pour l’importation que cela n’en vaut pas vraiment la peine pour les particuliers. Pour des flottes de véhicules, des intermédiaires se sont spécialisés dans les importations et font le travail administratif lié, ce qui peut s’avérer rentable. Le problème réside cependant non seulement dans les obstacles techniques, mais aussi dans la garantie du fabricant des véhicules, qui n’est pas transférable automatiquement d’un pays à l’autre et qui risque donc d’être perdue. C’est une limite à la libre concurrence.

Quelles sont les autres entraves techniques?

Elles sont intimement liées à notre système très indépendant. Prenons les organismes génétiquement modifiés, les OGM, qui sont interdits en Suisse, mais pas en Europe. Cette législation a une forte incidence sur les prix du fourrage du bétail, qui consiste en grande partie de soja. Il n’y a plus que deux ou trois endroits sur la planète où du soja non modifié est planté, comme par exemple au Brésil. Le marché est donc très limité pour s’approvisionner en soja, ce qui entraîne des prix élevés. Le soja doit ensuite être moulu. Or, seuls des moulins qui broient exclusivement du soja non génétiquement modifié peuvent être utilisés, puisqu’il n’est pas souhaité qu’il entre en contact avec des OGM. Il n’y a plus qu’un seul moulin en Autriche qui moud uniquement du soja non OGM. Les prix prennent ainsi l’ascenseur, puisqu’on ne peut pas faire jouer la concurrence.

Y a-t-il plus de prix administrés en Suisse qu’ailleurs?

La comparaison est difficile. Certains rapports indiquent que la Suisse serait la championne européenne des prix administrés. Je ne peux pas juger de la véracité du propos, mais quand on sait que la Suisse se compose de vingt-six cantons, qui fixent tous leurs propres prix administrés, il est indéniable que nous en avons beaucoup.

Pourquoi?

Parce que c’est politiquement voulu. Les prix administrés ne sont pas forcément un mal si des marchés dysfonctionnent ou s’il y a des monopoles naturels, comme les réseaux d’élimination des eaux usées. Il ne sert à rien de vouloir créer de la concurrence dans ce domaine. Cela coûte très cher en termes d’investissement et on peine à imaginer le creusement de différentes canalisations en fonction des fournisseurs. Il en va de même pour les trains. On peut imaginer une concurrence sur les services de transport, mais pas une concurrence sur les lignes. On ne va pas créer deux voies de train l’une à côté de l’autre. Certains pays ont décidé de pousser le libéralisme un pas plus loin et de tout privatiser, comme le Royaume-Uni. L’effet sur les investissements dans les infrastructures s’est révélé délétère.
La Poste, qui appartient à 100% à la Confédération, est aussi un bon exemple de prix administrés politiquement voulus, avec une limite des lettres à 50 grammes discutée à moult reprises sans être libéralisée. De son côté, Postfinance a quasiment un monopole sur les transactions de paiements, ce qui a comme effet positif qu’ils sont relativement bon marché en comparaison avec d’autres pays où ils sont libéralisés. Les prix administrés ne sont donc pas forcément mauvais, à la condition qu’ils soient bien utilisés et contrôlés.

Peut-on malgré tout prétendre que la Suisse est un pays libéral en termes de prix?

Sur le fond, oui. C’est le fondement de notre société et c’est indiqué dans la Constitution. La Suisse est notamment plus libérale que l’Union européenne. Pas seulement en termes de fixation des prix, mais aussi de réglementation, beaucoup moins lourde. C’est un des atouts de la Suisse. Il faut veiller à ce que ça le reste. Le meilleur surveillant des prix est une concurrence libre et efficace. Il faut donc s’assurer qu’elle puisse déployer ses effets tout en étant prêt à intervenir en cas de dysfonctionnement des marchés.

Il y a deux ans, le contreprojet à l’initiative Prix équitables a été accepté avec deux effets: la possibilité de sanctionner les abus d’entreprises avec position de pouvoir relative et la prohibition du géoblocage. Cela a-t-il porté ses fruits?

Oui, avec des adaptations de la loi sur la concurrence déloyale et de la loi sur les cartels. L’interdiction du géoblocage semble bien fonctionner, le nombre de plaintes a chuté avec une tendance zéro d’internautes redirigés vers des sites suisses ayant des prix plus élevés que les sites étrangers. La transparence a donc été améliorée. Certaines entreprises ont adapté leurs prix en conséquence, la discrimination suisse a ainsi été réduite. S’agissant de la question des cartels et de la dominance relative, il n’y a eu que quatre cas portés devant la Commission de la concurrence, dont l’un s’est soldé par une non-entrée en matière pour des raisons formelles. Deux autres sont en cours et le dernier vient d’être tranché: la librairie Payot a eu gain de cause face à son fournisseur français, la Commission ayant estimé qu’il abusait de son pouvoir de marché relatif en refusant de fournir ses livres aux conditions habituelles en France. J’aimerais encore souligner ici une nouvelle base légale contre l’îlot de cherté dans la loi sur les cartels, qui donne la possibilité d’acheter des biens à des conditions similaires que celles pratiquées usuellement à l’étranger. Cette disposition, qui stipule qu’«est en particulier réputée illicite la limitation de la possibilité des acheteurs de se procurer à l’étranger, aux prix du marché et aux conditions usuelles de la branche, des biens ou des services proposés en Suisse et à l’étranger», se trouve à l’article 7 alinéa 2 lettre g. Elle est très positive pour les entreprises, parce que c’est un véritable levier dans les négociations avec les fournisseurs. Elle n’est encore que très peu utilisée, ce qui est dommage. Les entreprises devraient davantage y recourir.

Quelle est votre implication dans les sujets d’ordre politique comme la redevance radio-TV à 200 francs?

Lorsque j’ai commencé mon activité, une de mes premières actions a été de critiquer le mode de contrôle de la redevance qui, à l’époque, se faisait encore par le biais de personnes qui passaient dans les ménages. Il m’a apparu évident qu’une redevance générale était nécessaire pour faire baisser les coûts, qui s’élevaient alors à 476 francs contre 335 aujourd’hui. On a réussi cette bascule, ce dont je me félicite. Ce qui est discuté n’est pas forcément le montant de la redevance, mais le rôle des médias publics et le contenu de l’information qu’ils produisent. C’est à cette question éminemment politique, qui va bien plus loin que celle des simples coûts, que les citoyens devront répondre.

Prenez-vous position sur les coûts de la santé?

Oui, la santé est le domaine le plus important de mon activité. Il occupe une grande partie de mon équipe. Je prends position sur toutes les tarifications médicales, c’est une obligation légale. Je fais chaque année un benchmark entre les hôpitaux des différents cantons. Il y a plus de cent cinquante établissements de soins aigus en Suisse. On contrôle chaque année leur comptabilité et on fait des recommandations tarifaires aux gouvernements cantonaux. La valeur du point tarifaire fait aussi partie des sujets sur lesquels je m’exprime, tout comme les changements de système de tarif médical. Cela fait plus de douze ans que je milite pour modifier le système actuel de tarification à l’acte pour aller vers une tarification au forfait, qui comporte moins d’incitations à augmenter le volume du nombre d’actes médicaux. Cela sera modifié à partir de l’introduction du nouveau tarif Tardoc, que le Conseil fédéral validera probablement bientôt.

Pourquoi les primes maladie ne sont-elles pas dans le panier de la ménagère?

Elles ne s’y trouvent pas, parce qu’on ne consomme pas des primes, mais des prestations de santé. Dans les faits, on a avant tout un problème de volume dans le domaine de la santé. Si j’arrivais à faire baisser le prix de l’ibuprofène de moitié, mais que la population en consommait trois fois plus, les coûts ne seraient pas réduits. De leurs côtés, les problèmes psychiques et le recours aux urgences ne font qu’augmenter, ce qui pèse évidemment sur les coûts. La population a tendance à consommer toujours plus de soins, ce qui fait gonfler la facture. Dans le système actuel, personne n’est incité à restreindre sa consommation médicale. On se dit: par le biais de mes primes, j’ai payé pour obtenir des soins, alors j’y ai droit.

Quel est votre rôle en tant que Surveillant des prix?

Mon rôle est de «remplacer» la concurrence quand elle est n’est pas efficace ou n’est pas voulue. Les domaines dans lesquels j’interviens sont ceux où cette concurrence manque.

Quelle est la typologie de votre équipe?

Nous sommes vingt-cinq personnes qui se partagent vingt postes à plein temps. Nous coûtons environ cinq millions de francs par année et faisons économiser entre 200 et 500 millions de francs par année. Mes principaux «clients» sont les régies fédérales, comme La Poste, les CFF, les transports publics, les hôpitaux et les acteurs du domaine de la santé. S’y ajoutent l’épuration des eaux, les tarifs du gaz et d’autres domaines de l’énergie. Mon équipe est composée à 70% d’économistes, à 15% de juristes ainsi que de personnel administratif.

Comment s’adresser à vous en tant que particulier ou entreprise et que faites-vous ensuite?

Le plus simple est de passer par notre site internet www.monsieur-prix.ch et de remplir le formulaire. Nous donnons une réponse à tout le monde. Cela peut prendre un peu de temps au vu du nombre de doléances, qui est passé en vingt-cinq ans de sept cents à deux mille cinq cents par an. Nous vérifions si la réclamation concerne un domaine avec des tarifs obligatoires, comme les ramoneurs ou le contrôle des installations électriques, s’il s’agit d’un domaine où la concurrence existe et comment celle-ci se manifeste. Nous faisons une brève étude du marché concerné. En principe, nous invitons les entreprises dont les prix ont été dénoncés à s’exprimer. Souvent, un courrier ou un courriel avec le logo de la Confédération fait déjà bouger les lignes. Des actions à plus long terme peuvent aussi être enclenchées, comme cela est le cas avec la surveillance de plateformes en ligne, suite à la plainte de garagistes ou de spécialistes de l’immobilier.

Existe-t-il des Monsieur ou Madame Prix dans d’autres pays?

Oui, il y a par exemple un Mister Prezzi en Italie, mais sa fonction n’est pas la même que la mienne. Il existe des surveillances des prix dans d’autres pays, organisées de différentes manières. La grande spécificité de la surveillance des prix en Suisse est son aspect transversal, donc non lié à un seul secteur d’activité, comme par exemple l’énergie. De plus, la création de cet office est la conséquence d’une initiative populaire. Il a donc été voulu par le peuple dans les années 1980.

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