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Stress au travail, la faute des entreprises, vraiment?

Marie-Hélène Miauton Publié samedi 14 décembre 2024

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Travail.Suisse, la faîtière des salariés avec cent trente mille membres issus de tous les secteurs, vient de faire paraître le sondage qu’elle réalise chaque année intitulé Baromètre Conditions de travail. Selon le communiqué de presse, le résultat est sans appel: «la part des travailleuses et travailleurs fortement stressés ne cesse d’augmenter, et l’épuisement gagne du terrain.» Voilà qui interpelle! Dans le rapport détaillé de l’étude, 42,4% des sondés répondent souvent ou très souvent à la question: «À quelle fréquence arrive-t-il que vous vous sentiez stressé par votre travail?» Ce chiffre est en hausse de 0,7 point après une légère baisse lors des années post- covid-19. Sur huit ans, entre 2016 et 2024, ce ressenti a augmenté de 4,6 points. Le communiqué de presse de travail.suisse s’indigne en outre qu’«une écrasante majorité de 84,2% des travailleuses et travailleurs se disent parfois trop exténués après une journée de travail, pour s’occuper encore de leurs affaires personnelles ou familiales». Heureusement que ce chiffre affolant est immédiatement rectifié, car ce n’est souvent le cas que pour un tiers des gens. En effet, les autres ont répondu ne l’être que rarement, ce qui est normal et rassurant. L’Enquête européenne sur les conditions de travail 2021 confirme ces résultats tout en tempérant le propos: «Deux tiers des salariés en Suisse indiquaient ne pas se sentir épuisés physiquement ou émotionnellement. Par rapport aux pays voisins, la Suisse comptait la proportion de salariés épuisés la plus faible (34%) et la France la proportion la plus élevée (48%). En Autriche, en Allemagne et en Italie, ce chiffre se situait entre 40% et 41%.». Sans grande surprise, on apprend que le personnel de santé est le plus soumis au stress, de même que les personnes actives dans les services financiers, le commerce de détail et les métiers de la communication. On s’étonne toutefois que la Suisse, qui impose le plus d’heures travaillées à sa population active, soit en même temps celle qui compte le moins de personnes épuisées au travail. Cela amène à s’interroger sur le phénomène du burn-out. Il toucherait environ 17% des Suisses actifs selon le Job-Stress-Index, et plus le revenu est bas, plus le risque est élevé. Sans doute les métiers les moins rémunérés peuvent-ils moins échapper à la contrainte des horaires et des tâches que les cadres et les professions supérieures. Surtout, l’intérêt de leur emploi n’est pas forcément le même. Là encore, les plus frappés exercent dans la restauration et la santé. On en déduit que le manque de personnel chronique dans ces secteurs pèse inévitablement sur ceux qui s’y consacrent. D’ailleurs, selon une autre étude, la surcharge serait le premier facteur de stress, bien avant la pression hiérarchique ou la crainte d’un licenciement. Sans oublier que toutes ces réponses sont très individuelles: certains peuvent travailler davantage d’heures sans se sentir épuisés, tandis que d’autres, moins résistants physiquement ou psychologiquement, seront plus vite débordés. Osons dès lors des explications complémentaires au stress de la classe active, plus sociétales que purement économiques. Déjà, après la crise du covid-19, de nouvelles habitudes ont été prises et des exigences inédites en sont nées, liées au télétravail, notamment. Le confinement a relativisé le rapport à l’emploi, ce que de nombreux sondages montrent à l’envi. En outre, l’imbrication constante entre les registres professionnels et privés, en raison d’une accessibilité permanente grâce aux smartphones ou autres écrans, est un facteur aggravant. La part des heures de bureau consacrées à des interpellations d’ordre personnel est difficile à mesurer, mais l’observation parle d’elle-même. Le sachant, faut-il réellement incriminer l’entreprise ou plutôt toute la société qui pousse au stress, tirant chacun à hue et à dia, sans offrir aucune opportunité de respiration, de désœuvrement ou d’indolence, aucun lâcher-prise? La question mérite d’être posée. n