En Suisse, Genève s’enorgueillit d’être une ville à part. Tout y contribue. Sa localisation géographique à l’extrémité du pays, petite excroissance de 282 km2 au bout du lac Léman que le reste du monde s’entête à appeler Geneva Lake, ce qui ne déplaît pas à la principale intéressée. Sa population, extraordinaire melting-pot, aussi bien national qu’international, puisque 42% de ses habitants sont étrangers et que 37% seulement des Genevois de souche résident dans leur canton. Son dynamisme économique, avec une concentration de savoir-faire étendus, essentiellement dans le secteur des services, qui ont fait la renommée de sa place financière, de ses groupes d’assurance ou de ses activités de négoce. Enfin, last but not least, les nombreuses institutions internationales qui y ont leur siège, telles que l’Organisation des Nations unies (ONU), le Bureau international du travail, l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, l’Union internationale des télécommunications ou le Comité international de la Croix-Rouge, avec dans leur sillage des organisations non gouvernementales comme Médecins sans frontières, Amnesty International ou Human Rights Watch. Cette incroyable accumulation d’atouts sur une si petite surface semblait devoir durer toujours.
Mais le monde est en train de changer à une vitesse folle et le statut enviable et envié de Genève est en danger, sous l’action conjuguée de la concurrence et des bouleversements géopolitiques. Reprenons.
Selon le rapport du Global Financial Centres Index paru en septembre 2024, qui évalue la compétitivité de cent vingt et une places financières dans le monde, Genève a reculé de six rangs tandis que Dublin en gagnait onze, Paris cinq et Dubai quatre. Denis Pittet, président de la Fondation Genève Place Financière, explique: « Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une concurrence féroce de la part de places financières qui, il y a quelques années encore, n’existaient quasiment pas». Quant à Marcel Rohner, président de l’Association suisse des banquiers, il disait en 2024: «Beaucoup de ce que nous pensions gravé dans le marbre s’est transformé, inversé ou évaporé en très peu de temps. Dans ce monde dynamique et difficilement prévisible, nous devons faire preuve de sagesse et de prudence. Nous avons tout ce qu’il faut pour cela». Les deux saluent une résilience inespérée et confirment le verdict de Blaise Goetschin, alors directeur général de la Banque cantonale genevoise, dans la NZZ en janvier 2024: «La place financière est résistante et sait s’adapter. Elle reste un secteur exportateur». Acceptons-en l’augure. Genève tient également un rôle de première importance dans le négoce et le financement du commerce (premier rang mondial) et plus de cinq cents sociétés de trading sont basées ou représentées à Genève. Pourtant, Florence Schurch, secrétaire générale de Suissenégoce, déplore que l’attractivité de la ville du bout du lac se dégrade. Elle met en cause le fameux swissfinish, cette tendance de la Suisse à jouer les bons élèves en appliquant des règles que ses rivaux ne se gênent pas de négliger. Elle insiste aussi sur le fait que Londres et Singapour sont plus rapides pour moderniser les outils, tel le connaissement maritime électronique.
En un mot comme en cent, nous prenons du retard, nous sommes plus tâtillons et de moins en moins financièrement attractifs. Pour couronner le tout, l’administration Trump est en train de modifier profondément le système multilatéral sur lequel était fondée la Genève internationale. Les grandes institutions sont en effervescence depuis que le président américain a menacé d’en sortir ou de leur couper les vivres, les estimant désormais trop bureaucratiques, coûteuses et inefficaces. Depuis longtemps le malaise couvait: l’ONU affichait son impuissance à la face du monde, la crise du covid avait révélé les collusions coupables de l’Organisation mondiale de la santé avec la Chine, le Tribunal pénal international condamnait le Premier ministre israélien et le chef du Hamas terroriste dans un parallélisme troublant, l’OMC était en panne depuis plusieurs années, le CICR lui-même était dans la tourmente.
Comment Genève ne subirait-elle pas le contrecoup de ces turbulences qui touchent à la fois le fond et la forme de l’action des institutions qui y ont leur siège ? Tout cela mis bout à bout montre que la Suisse ne sera pas épargnée et il convient de s’y préparer puisque «de nos mains, non de l’indolence, viendra la lumière», comme l’affirmait déjà Homère il y a plus de deux mille cinq cents ans.
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