Au sortir de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19 et ses multiples variants, bien malin qui dira si la confiance des peuples à l’égard de leurs institutions sera influencée positivement ou négativement.
La plus récente étude internationale sérieuse qui puisse en témoigner, l’Eurobaromètre de l’été 2020, montre une stabilité des opinions depuis 2014 avec un hit-parade globalement inchangé. Ces résultats, outre leur constance, peuvent étonner.
Depuis quinze ans, les populations européennes placent leur confiance dans leur personnel médical, leur armée et leur police. Ces tâches régaliennes, dont fait désormais partie la santé, obtiennent plus de 70% de jugements positifs. Ainsi, l’armée et la police, les bêtes noires des jeunes révolutionnaires de Mai 68 hurlant « L’armée, ça pue, ça pollue, ça rend c...» ou écrivant police avec les deux SS nazis, prennent leur revanche au XXIème siècle ! Suivent, avec des scores supérieurs à 50%, les structures politiques et administratives de proximité, communales ou régionales. En revanche, la méfiance des peuples à l’égard de la gouvernance planétaire ou continentale s’illustre dans les mauvais résultats de l’Organisation des Nations unies et de l’Union européenne, avec une adhésion de 43% chacune seulement. Aux derniers rangs, dans le grand sac des institutions rejetées, on trouve tout ce qui relève de l’action politique : les exécutifs et les législatifs nationaux n’obtiennent respectivement que 40% et 36% d’assentiment, et les partis à peine 23%. Les médias (40%) y sont associés. On se demande si le manque d’aura des acteurs politiques tient au fait qu’ils s’expriment essentiellement dans des médias dont on se méfie ou si le manque de crédibilité des médias vient du fait qu’ils tendent toujours le micro à ces « vendus » de politiciens ? Toujours est-il que leur sort est lié pour le meilleur et pour le pire !
Cette défiance a des conséquences et, entre autres choses, elle favorise ce que l’on appelle aujourd’hui le complotisme. En effet, se méfier de quelqu’un, c’est ne pas croire ce qu’il dit, c’est mettre en doute sa bonne foi, c’est chercher d’autres intentions à ses actes, en général malveillantes. Dès lors, certains milieux y vont fort avec les extrapolations contestables voire les délires les plus extravagants. Il faut pourtant faire attention à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, car toute supposition qui ne suit pas la pensée dominante n’est pas forcément fausse et les États, eux, peuvent se tromper, y compris sur des sujets très importants. Un exemple récent vient le prouver : ceux qui imaginaient que le Covid-19 pouvait être issu du laboratoire P4 chinois de Wuhan se sont fait traiter de complotistes, jusqu’à ce que l’Organisation mondiale de la santé envisage sérieusement cette idée. Subrepticement, les unes des médias sont alors passées à autre chose…
Au gré de la pandémie, les gouvernants ont cédé le pas aux scientifiques, ce qui avait pour objectif de sortir les décisions du champ de l’émotion pour les faire entrer dans le champ de la raison. Malheureusement, les experts ne sont pas tombés d’accord entre eux et les polémiques fleurirent, ce qui est normal dès lors qu’on appelle sciences des matières qui sont relatives. Mais la corporation suscite désormais une méfiance qui n’existait pas auparavant. Quand un politique se trompe, on accuse sa vision du monde, son idéologie, son électoralisme ou son manque de compétence. L’explication est vite trouvée ! Quand un scientifique est remis en question par son confrère, tous les deux surdiplômés, les béotiens sont perplexes : si ceux qui détiennent le savoir, contrairement au peuple, se contredisent, alors toutes les opinions se valent. La pandémie a mis en lumière pour les médecins, les épidémiologistes et les virologues les mêmes stéréotypes que pour les économistes, souvent moqués pour leur incapacité à prévoir ne serait-ce que l’avenir le plus proche !
Ajoutez à cela que l’excès d’informations, données trop vite pour faire du sensationnel et alimenter l’actualité à tout prix, multiplie les risques d’erreurs, qui elles-mêmes provoqueront des théories du complot. C’est ainsi que plus on est médiatiquement reconnu, plus on a des chances, non pas de se tromper, mais de montrer qu’on se trompe. Enfin, les commentaires qui sont désormais ouverts aux lecteurs sur les sites des médias ou très librement sur les réseaux sociaux permettent un effet d’entraînement des fake news et leur accréditation par certains. Dans une société qui favorise la communication plutôt que l’information, la rapidité plutôt que la maturation des faits, la surenchère verbale plutôt que la modération, l’accumulation des événements plutôt que leur synthèse, il ne faut pas s’étonner de voir apparaître des théories dissidentes et des complotistes partout !
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