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Démographie et économie: une relation complexe

Thierry Malleret The Monthly Barometer Publié le lundi 12 décembre 2022

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Depuis un siècle, la population mondiale a crû à une vitesse stupéfiante. En 1920, nous n’étions «que» 1,8 milliard d’humains sur terre, puis 2,5 milliards trente ans plus tard.

En 2011, nous avons franchi le seuil des sept milliards (un triplement en moins de cent ans!), puis officiellement celui des huit milliards d’habitants le 15 novembre dernier. Et après? Les démographes estiment que nous parviendrons à un pic de population d’environ 10,4 milliards aux alentours de 2100 avant de régresser en termes absolus. Cette augmentation rapide est-elle une bonne ou une mauvaise chose pour l’économie mondiale? Deux observations préliminaires avant de répondre à cette question.

1. La démographie imprime sa marque sur tout ce que nous vivons: elle est la plus importante de toutes les grandes tendances; elle est aussi la plus constante. Une population mondiale en forte expansion exerce un effet direct non seulement sur l’économie, mais aussi sur la géopolitique, sur l’environnement et sur les questions de société au travers de thématiques aussi différentes que l’accès aux ressources, les systèmes de retraite, l’occupation de l’espace, les migrations, l’emploi des jeunes, la charge que nous imposons à l’environnement, les politiques fiscales ou la distribution de richesses. En somme: la démographie se niche un peu partout!

2. La tendance démographique la plus importante n’est pas l’accroissement de la population en soi, mais le vieillissement de la population mondiale - une véritable bombe à retardement si elle n’est pas gérée convenablement. La croissance du nombre d’habitants sur Terre n’est plus déterminée par les taux de natalité, qui ont plongé un peu partout (à l’exception de l’Inde et de l’Afrique), mais par un accroissement du nombre de personnes âgées. La raison en est simple: grâce aux progrès de la médecine et des conditions de vie en général, nous vivons beaucoup plus vieux tout en ayant moins d’enfants. En conséquence, les populations vieillissent rapidement. C’est vrai dans tous les pays riches et, à des degrés divers, aussi en Russie, en Chine et dans la plupart des pays d’Asie, en Amérique Latine, en Iran et même dans de nombreuses nations au Moyen-Orient.

Alors, quelle relation la démographie entretient-elle avec l’économie? L’accroissement rapide de la population mondiale n’est pas un problème en soi. Malgré les mises en garde répétées des malthusiens contre les dangers de la surpopulation, nous vivons mieux aujourd’hui qu’hier (mais ce n’est pas le cas de la planète). Le vieillissement, en revanche, est un phénomène beaucoup plus insidieux et complexe à gérer. Pourquoi? Essentiellement parce qu’il conduit à une diminution de la population en âge de travailler au moment même où le pourcentage de personnes âgées devant être prises en charge par la collectivité (santé, retraite) augmente. Cela signifie qu’au fur et à mesure que le vieillissement progresse à l’échelle globale, ce ratio de dépendance défavorable entre «jeunes» et «vieux» fait tourner les vents portants pour l’économie en vents contraires. En effet, moins de jeunes équivaut (en principe: nous y reviendrons dans quelques lignes) à moins d’achat de nouveaux logements, de meubles, de voitures, d’équipements électro- ménagers, d’écoles et ainsi de suite. En principe, une population vieillissante est aussi par nature moins entrepreneuriale; plus intéressée à défendre le statu quo qu’à créer une nouvelle affaire. Plus on vieillit, moins on tend à investir dans l’économie et les projets du futur, dit-on. C’est la raison pour laquelle de nombreux économistes pensent qu’un monde vieillissant est destiné à être un monde avec moins de croissance, donc un monde moins riche.

Alors, que faire? Il existe des solutions, mais elles exigent toutes des changements profonds par rapport à nos cultures et à nos habitudes. La première, évidente, consiste à décaler l’âge du départ en retraite, en continuant de travailler au-delà d’un seuil qui aurait paru inconcevable dans un passé récent. Ainsi, au Japon (le pays au monde dont la population est la plus vieillissante), 50% de la population entre 65 ans et 69 ans continue de travailler. Il n’est pas rare d’y voir des septuagénaires, ou même des octogénaires encore employés dans le secteur des services.

Une autre solution consiste à encourager la participation croissante des femmes dans la population active (mais il faut pour cela davantage de crèches et de mesures destinées à favoriser l’égalité des genres), ou celle d’immigrés, un enjeu politiquement chargé, mais c’est la voie choisie par certains pays, comme le Canada, qui «importent» environ cinq cent mille émigrés par an afin d’étoffer leur population active.

Une autre voie de sortie par rapport au problème économique posé par le vieillissement consiste à abandonner l’idée préconçue que la vieillesse et la volonté d’entreprendre sont antinomiques. Pourquoi en serait-il toujours ainsi? Pourquoi l’espèce humaine ne serait-elle pas capable d’entreprendre dans le vieil âge et, par conséquent, de générer de la valeur? De nombreuses études indiquent que l’âge moyen du créateur d’entreprise augmente et qu’il n’est plus rare de lancer une nouvelle affaire à l’âge de 50 ans ou 60 ans. Il y a donc de l’espoir - démultiplié par la possibilité que l’innovation technologique nous rende davantage productifs. Puisqu’à long terme, le potentiel de croissance d’une économie équivaut à la taille de sa population active multipliée par sa productivité, on peut imaginer que ce qu’on perd d’un côté en raison du vieillissement (une population active dont la taille rétrécit), on peut le compenser de l’autre avec l’ingéniosité humaine (donc davantage de productivité).

A la question posée en début de cette chronique, la réponse est donc tout en nuances! Le vieillissement n’est pas une fatalité. Les pays qui s’en sortiront le mieux sont ceux qui favoriseront les flux migratoires, privilégieront l’égalité des genres, et dont la qualité des systèmes de santé et d’éducation sous-tendra l’emploi des personnes âgées et la volonté d’entreprendre.