L'art digital à la rescousse des ours et des forêts en Roumanie
Mirel Bran De Bucarest Publié vendredi 23 septembre 2022
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Trans-silvae: le pays au-delà des forêts. C’est ainsi que l’armée romaine avait baptisé, il y a deux mille ans, ce territoire situé au centre de la Roumanie, territoire qu’elle avait eu du mal à conquérir en raison de sa densité forestière.
En 2022, en Transylvanie, cette région pittoresque dont la surface est égale à celle du Portugal, les forêts d’antan ne sont plus qu’un souvenir. Des pans entiers des forêts des Carpates ont été rasés dans la fièvre du capitalisme sauvage qui a suivi la chute du régime communiste en 1989. La transition chaotique de la Roumanie vers une économie de marché a perturbé sa riche biodiversité, sa flore et sa faune. Les premières victimes des défrichements ont été les ours, dont l’habitat a été saccagé par les interventions violentes de l’homme. En 2004, un orphelinat réservé aux oursons a ouvert ses portes dans les monts Hasmas, situés au nord de la Roumanie. Plus de cent cinquante oursons ont été soignés dans cet établissement qui fait la fierté des écologistes roumains. Depuis l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne (UE) en 2007, les projets concernant la protection des six mille sept cents ours et des forêts ont poussé comme des champignons. «Depuis que nous avons créé la fondation La forêt de demain en 2019, nous avons planté un million d’arbres», selon Mihai Caradaica, président de cette fondation. «Aujourd’hui, nous cherchons à planter des arbres, comme le cerisier sauvage, qui pourront aussi assurer la nourriture des animaux. Si les ours ont de quoi manger dans les forêts, ils ne descendront plus dans les villages à la recherche de nourriture.»
Les campagnes de dons et les fonds européens ont soutenu jusqu’à récemment cet intérêt de la jeunesse roumaine pour la protection de l’environnement. Dans ce pays qui compte une pléthore d’informaticiens, les jeunes écologistes se tournent vers les nouvelles technologies pour financer leurs projets. Leur nouvelle religion s’appelle NFT (Non Fungible Token, ou jeton non fongible). Cette forme d’art digital leur permet de recueillir des fonds avec les outils des nouvelles formes du web. Un objet non fongible est un objet unique non interchangeable. Par exemple, le portrait de Mona Lisa peint par Léonard de Vinci et exposé au Louvre est non fongible. Les experts évaluent sa valeur à des montants faramineux. Certes, on peut faire des photos de ce tableau, mais personne n’offrira des centaines de millions d’euros pour l’une d’entre elles. Les photos ne valent que quelques euros parce qu’elles sont fongibles, soit reproductibles à l’infini pour une somme modique.
Un NFT est un bien numérique dont le caractère unique, qui lui confère sa valeur, est garanti par un algorithme mathématique sur la blockchain. Un tableau digital peut ainsi être enregistré en tant qu’exemplaire unique sur un réseau de la blockchain; c’est ainsi qu’il devient un NFT. Cette forme d’art digital est la nouvelle religion d’une jeunesse née avec un téléphone portable dans une main et une tablette dans l’autre.
L’heure a sonné pour les NFT et les métavers, qui se multiplient comme des champignons dans l’espace digital. C’est ainsi que les geeks roumains ont trouvé une solution pour sauver les ours et les forêts des Carpates. «Nous allons créer dix mille NFT, c’est-à-dire dix mille images digitales qui représenteront des ours», explique Andrei Badita, 32 ans, fondateur de ce projet. «La moitié des fonds recueillis seront distribués automatiquement à l’orphelinat, et ce projet permettra d’adopter un ours en utilisant l’univers digital.»
Le projet Mos Martin (vieux Martin), nom populaire des ours en Roumanie, sortira des entrailles de l’espace digital au mois d’octobre. Même son de cloche en ce qui concerne les forêts, qui bénéficieront de la stratégie NFT mise en place en collaboration avec la fondation La forêt de demain. On pourra bientôt acheter un arbre NFT dans l’univers digital, et l’argent sera transféré automatiquement à la fondation qui plantera un arbre dans le monde réel. «Nous avons été très agréablement surpris par cette proposition», déclare Mihai Caradaica. «Les NFT, comme les métavers, sont un élément du futur et nous pourrons les utiliser pour financer nos projets.»
Les NFT dont les jeunes Roumains se servent pour changer la donne écologique de leur pays sont le produit de la rencontre entre leur intelligence et de celle du robot. Irina Raicu, 31 ans, est l’artiste qui gère leur fabrication. «Nous sommes capables d’utiliser des réseaux neuronaux artificiels pour créer de l’art», explique-t-elle. «J’utilise un code mathématique que j’alimente avec des textes, ce qui lui permet de créer des œuvres artistiques. L’art qui en résulte est la rencontre entre l’humain et l’intelligence artificielle. Le résultat est aussi beau qu’imprévisible.»
Ambitieux et décomplexés, les jeunes Roumains se servent des nouvelles technologies pour sauver les ours et les forêts de leur pays.
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