Le péché mignon des élites catholiques

La famille du duc de Penthièvre en 1768 ou La Tasse de  Chocolat, par Jean-Baptiste Charpentier le Vieux.
La famille du duc de Penthièvre en 1768 ou La Tasse de Chocolat, par Jean-Baptiste Charpentier le Vieux. Europeana - commons.wikimedia.org/
Pierre Cormon
Publié mercredi 20 décembre 2023
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#chocolat Très en vogue dans la haute société des pays catholiques dans l’Ancien régime, le chocolat était vu à la fois comme un délice et un médicament.

Boisson des élites aztèques, le chocolat devient en quelques décennies celle des élites ibériques. Comme le thé, le café et le Coca-Cola, il se répand d’abord comme un médicament, avant d’être consommé aussi par plaisir. Le lien entre chocolat et médecine subsiste cependant longtemps. Brillat-Savarin, au début du XIXème siècle, achetait encore son chocolat chez son pharmacien, qui en proposait différents mélanges, ayant chacun son indication thérapeutique.

Pour conquérir les palais européens, «la boisson des Aztèques et des Mayas a dû subir une série de transformations», écrit l’historien Nikita Harwich1. «La plus importante consistait à ajouter à la préparation du breuvage une denrée récemment introduite par les Espagnols dans le Nouveau Monde: le sucre de canne. S’harmonisant avec celle de la vanille, l’action édulcorante du sucre réussissait à tempérer l’amertume naturelle du chocolat.»

Ordres religieux

Il faut quelques décennies pour que le chocolat perce en Europe. Les ordres religieux, qui le découvrent grâce à leurs membres de retour des Amériques, jouent un rôle notable dans sa diffusion. La Cour espagnole est la première à s’en enticher, bientôt imitée par la bonne société de la péninsule. Le chocolat se répand ensuite en Italie, en France, puis dans d’autres pays. Le chocolat pose pourtant un problème aux théologiens. S’agit-il de nourriture ou de boisson? Si c’est une nourriture, il ne doit pas être consommé pendant les périodes de jeûne. Si c’est une boisson, cela ne pose pas de problème.

Rivalités

Des volumes sont écrits sur la question. Des camps se forment, reflétant des rivalités plus profondes. Les Jésuites estiment que le chocolat ne rompt pas le jeûne, les Dominicains que oui. D’autres prennent une position médiane: tout dépend de la manière dont il est préparé.

Les médecins discutent également de ses mérites et de ses dangers, à la lumière de la théorie des humeurs, qui vise à trouver un équilibre entre le chaud, le froid, le sec et l’humide. On doit veiller à ce que sa consommation ne perturbe pas cet équilibre et vise plutôt à le rétablir lorsqu’il est compromis.

Jusqu’à la révolution française, le chocolat est associé à l’Eglise et aux élites catholiques. Il est beaucoup moins consommé dans les pays protestants, à l’exception de l’Angleterre. A Genève, «les puritains exercent une telle pression qu’il faut aller chez les gens de l’horlogerie, ceux de la basse-ville, pour trouver quelque fantaisie à manger du chocolat», remarque l’historien Gilles Fumey2. Zurich l’interdit même en 1722, jugeant que sa voluptuosité correspond mal à la rigueur morale que l’on attend des citoyens.

Entrepreneurs protestants

Ce sont pourtant des entrepreneurs de pays protestants qui transforment la boisson des élites catholiques, à l’élaboration délicate, en un produit de masse, solide et prêt à consommer. Son succès est favorisé par l’émergence de la médecine moderne, qui abandonne la théorie des humeurs. «On n’avait plus besoin de s’inquiéter de savoir si le chocolat ou ses arômes étaient chauds, froids, tempérés, secs ou humides», notent Sophie et Michael Coe.

Le regard des protestants sur le cho- colat change progressivement. Alors qu’ils le regardaient avec méfiance, les Quakers, notamment, commencent à y voir un moyen de détourner le peuple de l’alcool. L’explosion de la consommation conduit les puissances coloniales à développer la culture du cacao en Asie et en Afrique. C’est en Afrique occidentale qu’elle connaîtra sa plus grande expansion.

1Nikita Harwich, Histoire du chocolat, 1992, 292 pages.

2Gilles Fumey, Le roman du chocolat suisse, 2013, 125 pages.

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