Le petit pays qui vit serein dans l’espace économique européen

Les craintes manifestées au Liechtenstein avant l’entrée dans l’Espace économique européen se sont révélées infondées.
Les craintes manifestées au Liechtenstein avant l’entrée dans l’Espace économique européen se sont révélées infondées.
Pierre Cormon
Publié vendredi 05 juillet 2024
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#Liechtenstein La principauté n’éprouve pas de tourments identitaires comparables à ceux de ses voisins helvétiques au sujet de ses relations avec l’UE. Cela lui permet d’être membre de l’espace économique européen tout en maintenant son union douanière et monétaire avec la Suisse.

Une semaine après que la Suisse a refusé d’intégrer l’Espace économique européen (EEE, lire ci-dessous), en décembre 1992, les citoyens liechtensteinois décidaient en votation populaire d’y entrer. Un petit oui, à 56%, qui reflétait les divisions de la principauté. Pourtant, vingt-cinq ans plus tard, 76% de ses citoyens déclaraient avoir une image positive de l’EEE, dans un sondage organisé par l’institut de recherches Liechtenstein-Institut. Les doutes initiaux de nos voisins semblent s’être largement évaporés à l’épreuve de la réalité.

«Aucun des cinq partis politiques ne remet en question l’appartenance à l’EEE», confirme Michael Winkler, secrétaire général de la Vaterlandische Union (VU), l’un des deux partis gouvernementaux. Les milieux économiques la soutiennent également largement. Un contraste net avec l’humeur qui prévalait en 1992. «L’économie était divisée», raconte Brigitte Haas, directrice de la Chambre de commerce et d’industrie du Liechtenstein. L’industrie, très développée dans la principauté, poussait en faveur de l’adhésion, synonyme d’accès facilité au marché européen. Le prince et les trois partis politiques qui existaient alors recommandaient également le oui.

Nombreuses oppositions

Les opposants étaient cependant nombreux. Les artisans redoutaient la concurrence à bas prix des Autrichiens. Le secteur financier ne voulait pas des règles européennes. Les syndicats craignaient la sous-enchère salariale. Beaucoup de citoyens appréhendaient une hausse de l’immigration, dans un petit pays où le terrain est rare et cher, ce qui peut poser des problèmes aux habitants en quête d’un logement. Enfin, comme la Suisse avait voté non, certains craignaient qu’une adhésion du Liechtenstein mette à mal les bonnes relations avec la Confédération, avec laquelle la principauté vit sous un régime d’union douanière et monétaire.

Les craintes se sont pourtant peu à peu dissipées. Le succès économique a été spectaculaire. L’immigration a été contenue, grâce à une clause permettant de limiter le nombre de permis d’établissement délivrés à des citoyens de pays membres de l’EEE à septante-deux par an (hors regroupement familial). «Ce n’était pas encore très clair au moment du vote», remarque Patrik Schädler, rédacteur en chef du Liechtensteiner Vaterland, l’un des deux quotidiens du pays.

Adaptations

Le secteur financier s’est adapté. EEE ou pas, il n’aurait de toutes façons pas échappé à une profonde réforme, avec l’évolution des standards internationaux. Quant aux PME, elles ont vu la concurrence augmenter, mais «comme l’économie a aussi crû, elles n’ont pas été pénalisées», remarque Brigitte Haas.

Enfin, les bonnes relations avec la Suisse ont été maintenues, au prix de quelques aménagements. Les relations avec l’UE ne sont donc plus remises en question. «Nous pouvons consacrer notre énergie à autre chose qu’à négocier avec l’Union européenne», se félicite Michael Winkler.

Tout n’est pas parfait pour autant. Les Liechtensteinois se plaignent du surcroît de bureaucratie engendré par l’EEE. «Les règles sont conçues pour de grands pays, qui ont les moyens de les appliquer», remarque Patrik Schädler. «Elles sont parfois disproportionnées pour nous.»

Tracasseries

Certaines règles sont également vues comme tracassières. «De nombreux apprentis liechtensteinois sont actifs dans des secteurs où la durée hebdomadaire du travail est fixée à quarante-deux heures», illustre Brigitte Haas. «Une règle européenne prévoit cependant que les jeunes de moins de vingt ans en formation ne peuvent pas travailler plus de quarante heures par semaine. C’est une complication inutile pour les employeurs.»

Si les milieux économiques se félicitent de l’apport des frontaliers autrichiens, certains citoyens se plaignent que ces derniers «gagnent de bons salaires ici et vivent dans un pays meilleur marché». Ils déplorent également l’immigration – la limitation de permis de résidence n’empêche pas la population de croître.

Travailleurs détachés

Enfin, alors que les entreprises de la principauté pouvaient auparavant envoyer des travailleurs détachés sans formalités en Suisse, ils sont maintenant soumis presqu’au même régime que ceux des autres pays de l’EEE: devoir d’annonce, durée maximale de nonante jours par année, etc. «Cela nous semble très bureaucratique, alors que nous sommes si liés à la Suisse», regrette Brigitte Haas.

Rien de cela n’a cependant engendré un mouvement anti-EEE. «Nous sommes critiques, mais nous voyons les deux plateaux de la balance», résume Michael Winkler. «Nous sommes conscients des inconvénients, mais nous savons aussi qu’à long terme, ils pèsent moins lourd que les avantages qu’un petit pays exportateur trouve à être intégré dans un aussi grand ensemble.»

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