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Panem et circenses

Eric Decosterd Publié jeudi 03 octobre 2024

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Dans le paysage politique contemporain, nous voyons les dirigeants utiliser les notions d’ennemi extérieur ou de divertissement pour renforcer l'unité nationale et mobiliser l'opinion publique. Cette stratégie trouve ses racines dans la psychologie sociale, la communication politique et l'histoire. Penchons-nous sur l’histoire et le divertissement. Les empereurs romains organisaient dans le Colisée des jeux de gladiateurs, des courses de chars et d'autres spectacles pour distraire la populace. L'expression Du pain et des jeux (panem et circenses) résume bien cette stratégie visant à apaiser les tensions sociales et à détourner l'attention des problèmes économiques ou politiques du moment. L’expression est attribuée au poète satirique Juvenal, qui vécut au 1er siècle. Elle vise à maintenir la population dans l’ignorance et la satisfaction en leur fournissant nourriture et divertissement. Au cours des derniers siècles de la République romaine, puis pendant l'Empire, la société romaine faisait en effet face à de nombreux défis, tels que des crises économiques, des inégalités sociales croissantes et des tensions politiques. Pour apaiser mécontentements et révoltes potentielles, les dirigeants ont cherché des moyens de garantir la paix sociale. Aujourd’hui, ce concept trouve une résonance dans nos sociétés, où le divertissement peut parfois prendre le pas sur des problématiques essentielles. Les Jeux Olympiques de Paris en sont le parfait exemple. Ils ont été utilisés par le gouvernement pour promouvoir une image positive de la France et détourner momentanément l’attention des problèmes internes. C’est une sorte de procrastination élégante! Il est également courant d’observer que les dirigeants utilisent la notion d'ennemi extérieur pour renforcer l'unité nationale et mobiliser l'opinion publique. Confrontés à des défis internes (que ce soit une crise économique, des tensions sociales ou un mécontentement général), les voilà détournant l’attention en exagérant ou même en créant la menace d'un ennemi extérieur. Ce processus est efficace pour rassembler le peuple autour d'une cause commune. En désignant un adversaire extérieur, le gouvernement espère renforcer le sentiment d'appartenance et de solidarité parmi ses citoyens. On utilise alors souvent le mot «guerre» pour frapper les esprits. Guerre contre la pauvreté, guerre contre le covid, guerre pour le climat, les exemples sont légion. Le mot «guerre» peut être utilisé de manière métaphorique pour mobiliser la population et créer un sentiment d'urgence et d'engagement collectif. Reste bien entendu la guerre tout court. Qu’en est-il de l’entreprise? Dans le secteur technologique, des entreprises comme Apple et Samsung ont souvent été en forte concurrence. Cette rivalité pousse leurs équipes à travailler de manière plus cohésive et innovante, à considérer l'autre entreprise comme un «ennemi», favorisant ainsi l’esprit d'équipe. Les entreprises peuvent aussi utiliser des campagnes marketing qui présentent un concurrent ou une prestation comme un «ennemi» à combattre. Cela peut renforcer l’unité des collaborateurs, qui se sentent engagés dans une mission commune. On a longtemps parlé de la guerre des loueurs de voitures. Peu de slogans ont autant marqué les esprits que We Try Harder du loueur de voitures Avis. Ce slogan emblématique, introduit dans les années 1960, incarne non seulement l'identité de la marque, mais aussi sa volonté de rattraper et de dépasser son principal concurrent, Hertz. Utiliser le mot «guerre» dans le contexte des affaires peut sembler accrocheur, mais cela peut également comporter plusieurs dangers significatifs. Elle peut éloigner certains clients, déplaire aux employés, encourager des conflits juridiques, bref, donner une connotation négative de l’entreprise. La notion d'un «ennemi» extérieur peut créer une dynamique d'unité parmi les collaborateurs, en favorisant la coopération face à des défis perçus. Mais il est essentiel de garder à l'esprit que cette stratégie nécessite un équilibre. Reste la guerre des talents qui, elle, doit avoir toute notre sympathie!