Une ferme a remplacé des machines agricoles par la traction animale et propose des paniers de légumes bio. Une association aide les cultivateurs à produire leur propre farine. Une exploitation pratique la vente directe de viande. Tous ces projets ont été distingués par le Prix de l’agriculture en transition dans le Grand Genève, qui réunit dix collectivités publiques de part et d’autre de la frontière. Ces choix manifestent une certaine vision de l’agriculture. On prime des projets de petite échelle, qui restent en dehors des grands circuits de distribution et produisent des denrées à des prix sans doute relativement élevés. Il y a une place pour cette agriculture, et elle mérite d’être soutenue. L’ériger en exemple est cependant très discutable.
Tous ces projets ont en effet un point commun: ils ne peuvent pas être transposés à grande échelle. On ne produira jamais la nourriture d’une partie substantielle de la population avec la traction animale. On ne convaincra pas une frange notable de la population d’aller acheter sa viande à la ferme. La plupart des consommateurs préfère choisir ses produits plutôt que de s’abonner à un panier de légumes. Même le bio, pourtant poussé par les géants du commerce de détail, stagne aux alentours de 12% en Suisse. La majorité des habitants du Grand Genève continuera donc à être nourrie par les paysans qui ne gagnent pas de prix, utilisent des machines, font un usage modéré de produits phytosanitaires et écoulent leur production dans la grande distribution (heureusement: elle est plus à la portée d’une partie de la population que les produits de niche et aller en voiture acheter de la viande à la ferme n’est pas la meilleure manière de ménager le climat).
L’agriculture conventionnelle fait beaucoup d’efforts pour verdir ses pratiques, que ce soit de plein gré ou sous l’impulsion des autorités et du marché. La grande distribution exige que les exploitants de serres se passent entièrement d’énergies fossiles à terme. Une quarantaine d’agriculteurs genevois a adopté des méthodes qui séquestrent le CO2 dans le sol, le régénèrent et lui permettent de mieux absorber l’eau. L’usage de produits phytosanitaires est en baisse constante - près de 100% des céréales genevoises sont cultivées sans insecticides ni fongicides. Il ne serait pas souhaitable de s’en passer totalement: à l’heure où l’on s’accorde sur la nécessité de lutter contre le gaspillage alimentaire, en utiliser ponctuellement pour éviter de perdre une part substantielle de sa culture est une bonne manière de préserver nos ressources.
Remparts
L’agriculture bio est indirectement protégée par ces pratiques. Elle est souvent efficace dans la prévention, démunie lorsque les ravageurs apparaissent. Si ceux-ci ne se répandent pas de manière incontrôlée, c’est parce que les cultures conventionnelles font office de remparts, remarque l’écrivain Blaise Hofmann dans son ouvrage Faire paysan.
Les efforts des agriculteurs conventionnels, de par leur nombre, ont un impact bien plus important que les projets primés par les prix de l’agriculture en transition. En abordant le secteur par le petit bout de la lorgnette et en distinguant exclusivement des pratiques de niche, le Grand Genève accrédite pourtant l’idée que l’agriculture conventionnelle, a contrario, n’est pas engagée sur la voie de la durabilité. Il renforce l’incompréhension entre le grand public et les paysans qui assurent la plus grande partie de sa subsistance. Tout ce qu’il faudrait éviter.
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